mercredi 6 mai 2015

Les souffrances d'un jeune poulet



Chaque âge a ses déplaisirs disait Henry Bataille.
L'enfance, lorsqu'on réalise que le steak du midi était 
deux jours avant un adorable veau pataud ou un gentil poulet dodu.
L'âge adulte, lorsque l'on réalise que le gentil poulet dodu était
la volaille ce qu'une dinde est à l'art lyrique.

Mystification extraordinaire d'une tradition ayant pris
le nom d'"industrie", l'Homme, transfiguré par les siècles,
a transfiguré ses steaks. Le poulet aux cuisses charnues,
 la croupe garnie et aux dos grassouillet n'a jamais
couru dans la prairie comme un enfant s'ébroue dans un parc.
Le parc poulets, lui, est d'une nature moins champêtre.

Asphyxiés dans des cages de leur vie à leur mort,
ces poulets connaissent de leur vivant le confort que
leur destin de nugget leur promet dans un four.

A l'aube de sa fabuleuse épopée,
le poulet est gavé d'antibiotiques et soumis à un régime semblable 
celui qu'un Sumo endurerait. C'est en 5 semaines seulement que Siddharta se mue en Bouddha.
Ivre de ce traitement de Roi, le poussin devenu poussah fonce l'abattoir en même temps qu'il découvre la lumière.

Ah le terroir ! L'aventure commence quand sa vie se termine.
Allégé des rares plumes que sa courte vie lui aura permis d'arborer,
délesté mécaniquement de sa peau et de ses os,
le poulet est précipité dans le broyeur.
Il dépasse sa condition animale en perdant sa majesté,
il se sublime et découvre l'onctuosité.

De l'existence à la substance, le poulet de chair connaît la transcendance. Ce velouté de muscles et d'os, de cartilages et de peau, assaisonné d'amoniaque et de citrate pour le bienfait de notre santé
subit l'ultime transformation avant de s'offrir à la dégustation.

Nos palais si fins et si délicats ne s'y tromperont pas.

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